Charles Dessaux Praticien Hospitalier au centre de jour pour enfant 88200 Remiremont * Teacch pour traitement et éducation des enfants autistiques et souffrant de troubles apparentés de la communication A l’heure actuelle en France, la prise en charge des enfants autistes et psychotiques traverse une période de turbulence et a des crises de références théoriques des soignants et des éducateurs, crise de confiance dans les relations parents - pédopsychiatres, crise de conscience chez de nombreux "penseurs de la maladie mentale ", crise de gestion de l’accueil et de la prise en charge des grands adolescents et des jeunes adultes autistes. Les enfants eux-mêmes, vivant au quotidien une pathologie dont la crise est une des expressions habituelles, ne demeurent de leur coté pas toujours aussi indifférents, que la définition classique de leurs troubles pourrait le laisser penser, à ce contexte de turbulences et de conflits. Une lecture médiatique hâtive et caricaturale de ces aspects critiques conduit le plus souvent à opposer schématiquement : Les parents, groupés en associations, et professionnels non-médecins de l’éducation spécialisée, tenant d’une vision exclusivement biologique et comportementale des troubles de l’enfant, exigeant des prises en charge éducatives spécialisées calquées sur les modèles anglo-saxons les plus affinés (notamment la méthode TEACCH de Schopler et collaborateurs) ; Les pédopsychiatres d’obédience psychanalytique, gourous des hôpitaux de jour, défendant contre vents et marées une compréhension psychodynamique de l’autisme infantile, où plutôt les psychoses infantiles, seraient liées à des relations pathologiques maman - bébé précoces et justifieraient d’une prise en charge thérapeutique d’inspiration psychanalytique, tant pour l’enfant que pour la mère ou les parents, permettant l’actualisation et le dépassement de conflits intra psychiques plus ou moins archaïques. Si dans la réalité quotidienne des relations parents - professionnels ou professionnels - professionnels, cette opposition tranchée est effectivement souvent à l’œuvre, elle ne peut satisfaire le praticien tant soit peu rigoureux et conscient de ses devoirs déontologiques, notamment en ce qui concerne l’information des patients et des confrères, les garanties de continuité des soins, la prise en compte des données actuelles de la science. Elle ne peut satisfaire non plus les théoriciens à qui l’on a appris, en philosophie épistémologique, à ne considérer les différents corpus théoriques de la psychologie que comme des modèles hypothétiques, dont la validité doit sans cesse être interrogée à la lumière des résultats de leur mise en application, des critiques venant des tenants d’autres modèles, des liens cachés entre références théoriques et contexte historique, social et politique (n°3). PETIT HISTORIQUE DE NOTRE "REVOLUTION CULTURELLE " En 1987 s’ouvre notre hôpital de jour à Remirmont. Le bassin de population est de 100 000 habitants environ, en milieu de moyenne montagne, mi-rurale, mi-industrielle. Les locaux ont été adaptés à la prise en charge de petits, voire de tout-petits, (accueil possible dès 18 mois). Il existe trois institutions médico-éducatives sur le secteur, accueillant des enfants de 6 à 18 ans, dont bon nombre d’enfants considérés comme psychotiques. Prenant en compte ce contexte et les travaux récents en la matière, nous avons choisi dans un premier temps de privilégier les prises en charge les plus précoces tout en favorisant, dans la mesure du possible, le maintien, au moins à temps partiel, de ces petits dans les lieux de vie habituels des enfants (foyer familial, crèche, halte-garderie, école maternelle). Dès les premières semaines, l’hôpital de jour accueille cinq enfants dont le diagnostic est celui de psychose infantile précoce, et l’âge compris entre 2 ans ½ et 5 ans. L’équipe soignante, qui s’étoffera progressivement, en même temps que l’effectif des enfants et les projets de développement de la structure, comprend deux infirmiers psychiatriques, une éducatrice, une psychologue à mi-temps et le pédopsychiatre à quart temps. Nos références théoriques explicites sont, à cette époque, les travaux de D. WINNICOTT et F. TUSTIN (n°25 et n°23), en ce qui concerne la compréhension du développement psychoaffectif de l’enfant normal et malade. Nos modèles dans la pratique sont notamment L. VANCK ou J. HOCHMANN (n°24 et n°8). Pour comprendre l’autisme au quotidien et aider les parents, nous nous référions fréquemment au livre de R. MARTY (n°13). En 1987, une maman dont l’enfant est accueilli à l’hôpital de jour depuis son ouverture, nous présente un tableau d’ " autisme de KANNER " très typique, avec un retrait relationnel marqué et nous informe qu’elle a participé à une journée d’étude animée par M Théo PEETERS, neurolinguiste belge spécialisé dans l’autisme, et référant en Europe continentale du "TEACCH Programm " mis en place aux Etats Unis par le Professeur Eric SCHOPLER. Elle nous propose de prendre connaissance des documents et des notes qu’elle a ramenées. Elle nous demande si nous connaissons cette méthode, ("non "), et ce que nous en pensons ("pas grand chose, ce ne serait pas des comportementalistes ? Grimace à peine déguisée). La curiosité l’emporte finalement sur le mépris et les à priori, et progressivement, les documents sont diffusés et lus, des adresses d’associations et de formations découvertes, des livres commandés et traduits, des séminaires d’information interne organisés, le tout non sans heurts et clivages dans une jeune équipe et peu expérimentée. Cinq ans plus tard, au moment d’ouvrir une deuxième structure de jour pour les "grands " (7 – 15 ans), la psychologue, le médecin, deux infirmières et une éducatrice ont reçu une formation "TEACCH " théorique et pratique, le reste de l’équipe s’est sensibilisé et documenté. Les références psychodynamiques qui étaient les nôtres n’ont pas été jetées aux orties ; nous tentons tant bien que mal de les faire cohabiter dans nos esprits, au risque de la confusion et de l’insécurité, avec des théories cognitives. Parallèlement, nos pratiques quotidiennes se sont de plus en plus clairement inspirées de l’organisation des classes TEACCH, sans conduire au rejet des thérapies relationnelles ou psychomotrices. Des grilles d’évaluation et de diagnostic ont été introduites dans les bilans initiaux, des profils psycho-éducatifs (P.E.P), (cf. n°21), ont été insérés dans nos protocoles d’évaluation du développement. DANS LA PRATIQUE Etape diagnostique : Les travaux anglo-saxons nous ont beaucoup aidé à ce niveau. Ils ont progressivement, depuis 15 ans, reformulé et réactualisé les critères diagnostics, au point que, dans la formulation actuelle du trouble autistique retenue dans le DSM III R (cf. n°5), le retrait autistique ("aloneness "), longtemps considéré comme symptôme clef, est devenu un élément périphérique. Cette recentration du concept autour des notions de troubles de la communication verbale et non verbale s’avère très opérante et évite des discussions diagnostiques sans intérêt à l’heure actuelle, du genre "s’agit-il d’un autisme KANNER ou d’une autre forme d’autisme infantile ? ", nuances conservées dans la classification française (n°15). A cette étape, l’utilisation de grilles diagnostiques comme le C.A.R.S (n°18) permet de préciser des données cliniques et surtout de confronter les impressions et conclusions d’au moins deux spécialistes de l’équipe. Nous utilisons également la récente classification multiaxiale bioclinique de LELORD et collaborateurs, (n° 11 p 235) pour expliquer aux parents la complexité des troubles de leurs enfants (en cas de plurihandicap notamment), pour faciliter la communication avec d’autres partenaires du réseau médico-social (médecin de famille, pédiatre, médecin de rééducation fonctionnelle), et bien sûr pour communiquer aux membres de l’équipe des informations diagnostiques claires mais non réductrices. Par ailleurs, il nous semble que cette classification, avec ses quatre groupes plus ou moins discontinus (autisme associé – autisme – retard mental – troubles spécifiques du développement), anticipe judicieusement sur un démembrement progressif des syndromes autistiques, démembrement supposé ou attendu par des spécialistes d’horizon théoriques très divers (par exemple F. TUSTIN n°17 p. 63-64 ou L. WING n°17 p. 107-108). Nous nous inspirons également des travaux de M. RUTTER (n°19) pour ce qui est de l’organisation chronologique, du bilan diagnostique pour de jeunes enfants. RUTTER propose un bilan s’étalant sur 3 à 6 mois, permettant de mettre en œuvre dans le même temps les diverses évaluations et un travail à domicile auprès de l’enfant et des parents, d’éviter ainsi précipitation et maladresses, tout en fixant d’emblée une échéance claire à cette étape. Ce protocole nous protège de deux excès : Du "deuil minute ", d’une réparation possible des troubles ou du retard de l’enfant, réalisé dans certaines conditions de bilan dans des centres spécialisés plus ou moins déconnectés de l’entourage social habituel de l’enfant et de la famille. Du maintien sans cesse renouvelé dans une situation de flou diagnostique insupportable pour les parents et dommageable pour l’enfant. On voit qu’à cette étape, la notion psychanalytique de deuil de l’enfant fantasmatique est irremplaçable, le soutien affectif aux parents devra en faire grand cas. Les évaluations : Nous avons appris des anglo-saxons qu’il était possible et indispensable d’évaluer les différentes lignées du développement de l’enfant autistique. Le P.E.P de SCHOPLER, dont les items ont pour la plupart inspiré de divers tests du développement de l’enfant normal ou retardé, se révèle un outil irremplaçable, car spécifiquement adapté à ce type d’enfant. Par ailleurs, il introduit de façon très judicieuse la notion d’ " émergence ", lorsque l’enfant ébauche une réponse positive à la consigne sans la réaliser correctement ou complètement. Les éducateurs et infirmiers peuvent être associés aux passations. Les profils résultant du test vont leur permettre d’adapter les activités proposées à l’enfant et de cibler spécifiquement les domaines dans lesquels l’enfant a les capacités de progression virtuelle les plus fortes. Ces outils ont permis une véritable renarcissication des soignants dépourvus face à des enfants dont la symptomatologie est déroutante et souvent peu évolutive, et décontenancés par l’écart irraisonnable qu’ils expérimentaient entre des lectures théoriques cohérentes et séduisantes et des situations quotidiennes frustrantes. Ces évaluations codifiées facilitent également la prise de conscience de l’importance des mécanismes projectifs à l’œuvre dans notre compréhension de ces enfants. Des présupposés du style " il comprend tout ce que je lui dis " sont fréquemment mis à mal par l’exploration systématique de la compréhension verbale de l’enfant. L’interprétation de l’intentionnalité de l’enfant, de ses traits de caractère et de sa vie émotionnelle affective est également interrogée par cette pratique des évaluations. Des attitudes ou des comportements qui nous faisaient dire "il nous provoque, il jouit de notre colère, il est pervers,… " peuvent être restitués dans des schémas de fonctionnement mental et relationnel habituel beaucoup plus frustes. Car un des enseignements spectaculaires de notre pratique des évaluations a certainement été que nous surévaluions quasi systématiquement les possibilités de compréhension et de réalisation des enfants. Les évaluations systématiques peuvent nous aider à adapter nos exigences et le contenu de la prise en charge. Elles nous aident à soutenir les parents, à comprendre leur enfant et la spécificité de ses difficultés. Elles aident les soignants dans l’élaboration de leurs contre-attitudes et peuvent servir de point de départ aux échanges lors de la réunion de supervision, animée par un thérapeute extérieur à la structure selon un modèle psychanalytique. Elles permettent enfin de mieux cerner les évolutions ou les non-évolutions des enfants dans les différents secteurs. L’échelle ERCA de LELORD et Coll. (n°1) est à ce niveau d’une grande ressource, car directement adaptée au décodage de la vie quotidienne au côté de l’enfant. Réalisée périodiquement, elle permet de cerner de façon moins subjective ce qu’il en est de l’évolution symptomatique. Pour les enfants très jeunes ou dont le retard mental est très important, un outil comme le "guide Portage ", qu’il faut encore commander directement au Canada, nous paraît adapté et facile à utiliser (n°2). Le montage éducatif et thérapeutique : Quoique ses auteurs et ses zélateurs s’en défendent, la "méthode TEACCH " représente bel et bien une méthode éducative spécifique et pas seulement un état d’esprit ou un programme de santé publique. C’est d’ailleurs à notre avis son grand intérêt. En partant de l’observation et de l’étude minutieuse du fonctionnement cognitif de l’enfant autiste, SCHOPLER et ses collaborateurs ont progressivement affiné une technique de prise en charge extrêmement subtile et raffinée (n°22), à la fois invariante dans ses grands principes et souple dans son application. La mise en œuvre de cette méthode sert en quelque sorte de contenant global, de squelette, à notre prise en charge. A l’intérieur de cette structure éducative et communicationnelle pourront s’inscrire des prises en charge très diversifiées, notamment psychomotrices ou psychothérapiques. Il ne peut être question dans un bref article de présenter la méthode de façon très détaillée. Nous ne rappellerons que les caractères essentiels de sa mise en œuvre : La structuration : il s’agit d’adapter l’environnement à l’enfant autiste et de lui rendre compréhensible au minimum les concepts abstraits qui lui posent le plus de problèmes, notamment l’écoulement du temps. En pratique, cela implique de veiller à une correspondance lieu - activité très stricte et à des représentations concrètes des activités et leur succession, par exemple en utilisant des supports visuels (images à retourner, objets à déplacer), ou auditifs (signal sonore de début ou de fin d’activité). La communication : doit s’adapter aux canaux privilégiés par l’enfant et les moins entravés par ses troubles, c’est à dire en général le canal visuel. Il est souvent nécessaire d’introduire une communication codée non verbale (objets, gestes, images ou photographies). L’introduction de médium de compensation d’une fonction verbale déficience ou plutôt inaccessible, est souvent très spectaculaire dans ses effets positifs (véritable réveil de la motivation de l’enfant, diminution des troubles du comportement, des stéréotypies et des crises anxieuses). L’adaptation du programme éducatif et thérapeutique à chaque enfant, en fonction notamment des données du bilan des émergences notées, des attentes ou résistances des parents, est la condition sine qua non de l’outil TEACCH. Son intérêt est à ce prix, ce qui implique pour les soignants une formation approfondie et une solide expérience, singulière dans le domaine de l’évaluation. Sa mise en œuvre nécessite également l’information minimale de tous les soignants qui ont à prendre l’enfant en charge, quel qu’en soit le contenu et le modèle théorique de leur intervention afin que l’inscription dans le cadre globale de chaque séance thérapeutique puisse se faire sans "violence cognitive ". De même, la sensibilisation des parents à la méthode est très utile. Elle est le support de tout un travail de généralisation des acquis, la généralisation posant des problèmes très spécifiques à l’enfant autiste (ce qui est acquis à la maison peut ne pas l’être à l’hôpital de jour ou à l’école et réciproquement). A l’intérieur de ce cadre éducatif structuré et individualisé peuvent prendre place, en fonction des besoins et du niveau de développement de chaque enfant, des prises en charge complémentaires et diversifiées. Les indications sont posées par le médecin de l’institution, exceptionnellement par le médecin de famille qu’en il s’agit d’orthophonie en cabinet. Elles reposent sur la réflexion en équipe et elles prennent en considération les demandes et attentes des parents, mais aussi les possibilités matérielles locales. Il peut s’agir de thérapie psychomotrice, de rééducation orthophonique (en fait, travail sur la communication verbale et/ou non verbale), de kinésithérapie, de thérapies non-conformistes, ésotériques ou culturelles, en fonction des croyances et démarches des parents (guérisseurs, marabouts ostéopathes…) ou de psychothérapies. La psychothérapie individuelle, schématiquement, peut s’inspirer d’un modèle cognitif et communicationnel, bien adapté quand les problèmes de décodage du monde extérieur et intérieur sont au premier plan ou d’un modèle psychanalytique, qui voit cependant son champ de pertinence relativement restreint dans le cadre de l’autisme. Ses indications se limitent dans notre pratique à des cas d’enfants de bon niveau intellectuel présentant un tableau quasi dépressif (le plus souvent lié à la prise de conscience de la différence) ou des manifestations anxieuses marquées et persistantes, malgré la mise en œuvre d’un programme éducatif cohérent. La thérapie comportementale pourrait être discutée dans le cas de troubles massifs et résistants (auto ou hétéro - agressivité surtout). Nous ne disposons pas dans notre équipe de thérapeute comportementaliste et n’avons pas d’expérience pratique dans ce domaine. Les traitements médicamenteux sont d’indication exceptionnelle et de résultats souvent décevants (effets paradoxaux fréquents, effets secondaires parfois rapides et massifs, la prise de poids notamment). La Fenfluramine paraît avoir quelques indications privilégiées (cf. n°14 p 89 – 90) mais son utilisation n’est pas aisée (déconditionnement – reconditionnement en officine, pas de remboursement). Le travail avec les parents s’est vu grandement facilité et éclairé par l’introduction progressive de l’approche cognitive et éducative. Il demeure particulièrement difficile, les parents d’enfants autistiques portant le plus souvent à l’extrême les manifestations de souffrance morale et de culpabilité rencontrée chez les parents d’enfants malades chroniques ou handicapés. L’absence d’étiologie précise décelable, la modestie des perspectives thérapeutiques, la subtilité de certains symptômes les rendant difficilement compréhensibles, la méconnaissance de ce handicap dans la société (malgré des efforts médiatiques spectaculaires), les conflits d’école entre professionnels, les luttes d’influences entre institutions et associations, l’absence de structure spécifique à l’âge adulte, sont autant de facteurs qui ajoutent à la douleur et à la rancœur des parents. L’alliance thérapeutique si nécessaire est souvent fragile et demande à être consolidée sans cesse. Dans ce domaine à l’inverse de la prise en charge quotidienne de l’enfant, c’est l’approche psychodynamique classique ou les théories systématiques qui nous offrent le cadre d’intervention, tandis que la connaissance de l’autisme par la psychologie cognitive, appliquée à la vie quotidienne et aux comportements de l’enfant, occupe la plus large part de contenu des échanges. En pratique, nous rencontrons les parents en consultations, avec ou sans l’enfant, en fonction de leur demande et surtout de son comportement, en moyenne tous les deux mois. Un éducateur ou infirmier référent de l’enfant participe à la consultation. Un résumé d’observation, un document d’évaluation, ; des extraits vidéoscopiques peuvent servir de point de départ aux échanges. Les parents communiquent régulièrement avec l’équipe soignante au moment de l’accueil de l’enfant, ou par l’intermédiaire du classique cahier de liaison. Quand le moment semble venu, nous ne manquons pas d’informer les parents de l’existence d’associations régionales ou nationales. Des conseils de lecture, voire de formation, peuvent être donnés, et ces informations sont l’objet de nouveaux échanges lors des rencontres ultérieures. Le travail de l’équipe sans les enfants est un luxe nécessaire car les deux temps de réunion hebdomadaire (synthèse clinique, supervision d’équipe soignante) nous sont enviés par les collègues d’institutions médico-éducatives. Le ratio important de personnel soignant (2,5 enfants pour 1 adulte environ) permet également de ménager des temps de préparation des activités et d’organisation. Il permet de plus de répondre, au moins en partie, aux nombreuses sollicitations extérieures en matière de formation et d’information (demandes de stages, demandes de bilan pour des enfants hors secteurs…). L’intégration sociale, voire scolaire des enfants est un des objectifs essentiels à long terme. L’expérience TEACCH nous a démontré qu’en ce domaine, il n’était pas payant de mettre la charrue avant les bœufs, et qu’une intégration sociale forcée est artificielle quand l’enfant n’a pas encore acquis un minimum de maîtrise dans la structuration mentale du monde extérieur et n’apporte le plus souvent aucun bénéfice, mais peut accentuer spectaculairement l’angoisse et les troubles du comportement. Ceci reste à moduler en fonction des capacités et du développement de l’enfant (deux de nos jeunes patients suivent une scolarité normale et ne sont pris en charge qu’en dehors du temps scolaire), et de la demande des parents, très forte à ce sujet. Une intégration scolaire vouée à l’échec peut d’ailleurs paradoxalement, parfois permettre une prise de conscience plus réaliste chez les parents et augurer d’une collaboration beaucoup plus fructueuse avec l’hôpital de jour. L’implantation du centre lui-même au sein d’une structure scolaire avait été envisagée à l’origine. La tiède motivation de nos partenaires de l’Education Nationale, ainsi que nos propres doutes sur l’intérêt d’une telle "intégration "nous a fait pour le moment différer cette perspective. Il serait utile sans doute d’évaluer à moyen terme les expériences des quelques structures utilisant ce fonctionnement. COMPLEXITE PATCHWORK POLYTHEORIQUE Les troubles de l’enfant autiste renvoient à des problématiques d’une complexité désarmante : problématique de la naissance de la pensée et du sentiment de soi, de la communication, de la spécificité de l’humain, des influences héréditaires et acquises, du développement normal pathologique de l’homme, du développement de la vie familiale etc… Les outils théoriques pour maîtriser une telle complexité sont encore embryonnaires et d’un usage délicat (cf. par exemple E. MORIN, n° 16). Les corpus théoriques classiques, notamment psychanalyse, psychologie génétique, psychologie cognitive, neurophysiologie, neuropharmacologie, génétique, n’apportent sur la question de l’autisme que des éclairages très focalisés, laissant de larges zones d’ombres, éclairages qu’il paraît très difficile d’activer simultanément. Des essais de dialogues et de recherches transthéoriques sont tentés (cf. n°7, n°9 et n°12 par exemple). Ils ouvrent des perspectives intéressantes pour l’avenir, mais ne peuvent constituer des outils efficaces pour le présent. Nous en sommes réduits au patchwork théorique, l’ensemble de nos pièces venant se disposer selon trois principes : - Celui du respect des champs de pertinence : chaque outil n’est pas polyvalent, et il paraît absurde de prêter encore à la psychanalyse un pouvoir explicatif et thérapeutique totalitaire en matière de psychose infantile. Nous avons montré en pratique combien elle était irremplaçable sur le champ du travail avec les parents, de la supervision des soignants, et du soutien affectif aux enfants autistes intellectuellement très développés. De même, les travaux théoriques sur l’articulation psychocorporelle (Sami-Ali, n°20) voient une application possible dans le domaine de la prise de conscience du soi, de ses limites et de ses possibilités. Il serait abusif d’en attendre la guérison des troubles ou d’y résumer la prise en charge. Le champ de pertinence de l’approche cognitive dans l’autisme apparaît particulièrement large, mais pas infini. Une prise en charge éducative bien adaptée, la mise en œuvre d’un support communicationnel de compensation ne permettent pas de régler tous les problèmes, ni de comprendre toujours les manifestations anxieuses ou comportementales de l’enfant, la douleur, la culpabilité ou le découragement des parents ou des soignants. Le second principe est celui de la priorité du pragmatique sur la cohérence théorique. Comme l’affirme F. ROUSTANG (n°6) c’est une exigence bien française de ne pouvoir se passer, en psychiatrie et psychologie, d’un discours théorique sans faille pour passer à l’action. Les Anglo-saxons nous donnent l’exemple, parfois inquiétant dans certains excès, du pragmatisme premier : de l’action et de son évolution pourront naître ensuite des hypothèses théoriques adaptées. Dans le domaine de la prise en charge des jeunes autistes, où nous sommes réellement condamnés, si nous ne voulons pas cultiver l’ignorance, à cultiver sur l’ignorance, ce principe s’est révélé opérant. Le troisième principe est celui du respect mutuel des différents professionnels. Le dialogue interthéorique est avant tout dialogue interindividuel. Il n’est pas facile d’écouter l’autre développant sa pensée théorique, surtout si, au moins en apparence, elle contredit la nôtre et met en péril le fragile édifice sur lequel repose notre sécurité affective dans le travail pédopsychiatrique. C’est que notre cohérence cognitive (n°10) est en cause, et que les mécanismes inconscients puissants vont la défendre. Ici, comme dans les relations soignants – enfants et soignants – parents, la prise de distance, l’analyse et le décodage de notre implication passionnelle doit nous aider à dépasser l’écueil redoutable des clivages. En résumé, il est possible, à l’heure actuelle, de proposer des prises en charge aux enfants autistes et à leurs parents qui intègrent les découvertes de la psychologie cognitive, les expériences éducatives anglo-saxonnes, la connaissance de l’enfant par la psychanalyse et la compréhension des familles par la systémie. La cohérence de cette prise en charge peut être assumée par une formation honnête et adaptée des parents et l’adoption de principes de pragmatisme, de délimitation des champs de pertinence, et de respect mutuel des professionnels. RESUME La crise spectaculaire et médiatisée que traverse la prise en charge pédopsychiatrique des enfants autistes et psychotiques n’a pas épargné notre hôpital de jour et ses intervenants. Elle a provoqué une véritable révolution culturelle de nos références théoriques, et à débouché pour notre pratique, sur des projets thérapeutiques et éducatifs intégrant les découvertes de la psychologie cognitive, les expériences éducatives spécialisées anglo-saxonnes, la connaissance de l’enfant par la psychanalyse et la compréhension du fonctionnement familial par la systémie. La cohérence de cette prise en charge repose sur une formation spécifique des soignants, l’information honnête et adaptée des parents, et le contrôle de la mise en acte de toute référence théorique par les trois principes de délimitation des champs de pertinence et de respect mutuel des professionnels. BIBLIOGRAPHIE BARTHELEMY C., LELORD G. (1991) : Les échelles d’évaluation clinique en psychiatrie de l’enfant. Expansion Scientifique Française Paris. BLUMA S. et al. (1976) : Guide portage d’intervention précoce. IQDM Montréal. BRADLEY B. S. (1991) : Des regards sur l’enfance. Eschel Paris. Code de déontologie médicale. Ordre National des médecins : Art 15, 30 et 36 DSM III R (1989) : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Masson Paris HIRIGOYEN M.F (1991) : Entretien avec François ROUSTANG, in Synapse n°79, octobre 1991, p22–32. HOCHMANN J., JEANNEROD M. (1991) :Esprit, où es-tu ? Odile Jacob Paris. HOCHMANN J. (1984) : Pour soigner l’enfant psychotique. 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